Le rabbin Elie Lemmel revient sur les deux agressions qu’il vient de subir en l’espace d’une semaine
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00:00Une nuit sur scène, tout simplement, j'ai un rendez-vous en bas de mon bureau
00:03avec une personne qui a besoin de me parler.
00:05Je suis assis tranquillement et puis d'un seul coup,
00:07j'ai l'impression que la cheminée est tombée sur ma tête
00:08puisque la personne qui m'a agressé arrive par derrière
00:12et puis je reçois un bon coup sur la tête.
00:14Un coup de chaise, c'est ça ?
00:16Un coup de chaise, enfin, moi, je n'ai pas pu l'identifier,
00:18c'est ce qu'on me dit après.
00:19Je me retrouve par terre et puis par contre, ce que j'entends,
00:21c'est arrêtez-le, arrêtez-le et je le trouve génial,
00:23mais il y a des personnes encore courageuses.
00:25Qui se sont interposées, qui se lèvent ?
00:27Qui se lèvent et qui vont, à ce moment-là, non l'attraper
00:29puisqu'ils s'enfuient immédiatement.
00:31Et à ce moment-là, vous savez, c'est quoi la première idée qui m'arrive en tête ?
00:34Celle de mes parents et de mes grands-parents
00:36qui ont été sauvés par des paysans français pendant la Seconde Guerre.
00:39Et je me dis, waouh, il y a encore des gens courageux
00:41et ça, ça me touche beaucoup.
00:42C'est impressionnant de voir comment, tout de suite,
00:44il y a cette connexion qui se fait dans ma tête.
00:46Cette solidarité-là, elle vous touche plus que l'agression en elle-même ?
00:50Claire.
00:51Elle me bouleverse parce qu'elle nous révèle qu'au fond,
00:54il y a dans des moments de crise des personnes
00:56qui savent comment elles doivent agir.
00:58Et c'est quelque chose qui, au fond, de manière ultime et rassurante,
01:01malgré en effet la difficulté de ce qui est en train de se passer.
01:04Comment vous expliquez deux agressions en moins d'une semaine
01:06contre l'autre personne ?
01:08Très sincèrement, je n'ai aucune idée.
01:11Clairement, il n'y a pas de lien entre les deux.
01:12La première fois, ce sont trois personnes, je pense, d'origine slave,
01:15qui me voient et qui me barrent la route
01:16et qui, je pense, avaient envie un petit peu de voir,
01:19pardonnez-moi cette expression, le petit juif qui s'enfuit.
01:22Et j'ai décidé d'avancer, évidemment.
01:25Et puis, quand j'arrivais à leur hauteur,
01:26alors j'entends des mots pas très gentils à mon égard
01:28et puis un bon coup de poing dans le ventre.
01:30Je me retourne, je leur demande ce qu'ils veulent.
01:31Et là, je vois qu'ils se mettent en posture pour essayer de continuer.
01:34Courageux, mais pas téméraire.
01:35Je me suis éloigné, évidemment.
01:37Et suite à cela, évidemment, il vient la semaine d'après.
01:39Je me retrouve à cette situation.
01:41C'est vrai que ça m'interroge, moi, en tant qu'individu.
01:43Mais évidemment, c'est interpellant sur un climat.
01:46Et je pense que c'est ça, au fond, au courant de réfléchir.
01:48Ça interroge sur la société française et la montée de l'antisémitisme, si j'imagine.
01:52J'ai l'impression que ce n'est pas juste l'antisémitisme qui est en train de se jouer ici.
01:55C'est-à-dire, il y a une forme de dimension très décomplexée.
01:59J'ai envie de me confronter à l'autre.
02:02Je ne suis pas d'accord avec cet autre.
02:03Eh bien, je n'ai pas peur de l'exprimer, même dans la violence.
02:06Et c'est peut-être là où il y a une problématique.
02:07Alors, évidemment, il y a cet antisémitisme qui est en train d'émerger.
02:11Mais je crois qu'au-delà de ça, c'est beaucoup plus une réflexion globale qu'on doit avoir.
02:16Les gens ne sont pas d'accord les uns avec les autres.
02:18Mais ils devraient se respecter.
02:19Et l'ant ne se respecte plus.
02:20Et c'est peut-être là où est le problème.
02:22La communauté juive a peur, aujourd'hui, dans notre pays.
02:25Quel est le message ?
02:26Quand on voit votre visage, honnêtement, on se dit, elle a raison d'avoir peur.
02:29Qu'est-ce que vous dites, aujourd'hui ?
02:31Et à tous les Français, à toute la communauté française,
02:33qui devrait se tenir avec la communauté juive.
02:36Pour moi, aujourd'hui, on est dans une communauté nationale
02:38avec des sensibilités différentes.
02:39Il faudrait d'abord qu'on aille voir ce qui se passe de bien chez les autres
02:42avant de se focaliser sur ce qu'il est moins.
02:45Un maître me disait toujours, on ne combat jamais le noir et la noirceur
02:49avec des coups de bâton, mais on rajoute de la lumière.
02:51Et c'est peut-être une réflexion très globale qu'on devrait avoir.
02:54Oui, la communauté juive a peur, clairement.
02:57Parce qu'au bout d'un moment, on se sent des cibles.
03:00Comme je l'ai dit, c'est presque un délit de faciès.
03:02Et il est interdit pour tout le monde, quel qu'il soit.
03:05Et c'est vrai que pendant des années, on n'aurait jamais pu imaginer
03:08que l'on se retrouve, en tant que juif, en danger dans la République.
03:13En France.
03:13Génie Bastier, peut-être une réflexion sur cette agression de Ramelli-Lemel.
03:18Qu'est-ce que vous pensez à ceux qui minimisent aujourd'hui
03:21cet antisémitisme en France, qui disent qu'il est résiduel ?
03:24C'est le terme qu'avait employé Jean-Luc Mélenchon.
03:26Est-ce que vous pensez qu'il y a toujours une partie de la classe politique française
03:30qui n'est pas consciente de l'enjeu aujourd'hui qui se passe sur notre territoire ?
03:35J'ai l'impression qu'au fond, ils n'ont jamais appris ce qu'était un iceberg.
03:39Et que quelque part, on est ici dans quelque chose qui ne semble pas très important.
03:43Mais en vérité, qui est à mon avis quelque chose de beaucoup plus profond.
03:46Parce qu'on parle d'antisémitisme.
03:49Mais au fond, cet antisémitisme, s'il peut s'exprimer aussi,
03:52c'est qu'il y a quelque chose au niveau sociétal qui lui laisse cette liberté.
03:56Évidemment, il y a eu toujours des personnes qui ont été dans le déni de l'autre,
03:58qui existaient à travers ce qu'ils ne sont pas.
04:00C'est dans l'opposition qu'ils se sentent exister.
04:02Ça, c'est déjà un phénomène beaucoup plus vaste.
04:04Mais au niveau de l'antisémitisme, je pense qu'on oublie qu'on est sur la partie émergée de l'iceberg.
04:10Parce que s'il peut s'exprimer, c'est qu'il y a un état d'esprit qui lui donne cette liberté.
04:15Et c'est, je crois, quelque chose de beaucoup plus profond qui est en train de se jouer au niveau de nos sociétés,
04:19dans lequel on est un petit peu open bar dans tous les domaines.
04:21Il n'y a plus de cadre, il n'y a plus de limites.
04:23Et donc, à partir de cela, je ressens quelque chose.
04:27Vous savez, la particularité de l'humain, c'est quoi ?
04:29C'est que c'est le seul qui peut créer une version améliorée de lui-même.
04:32Cette idée-là de mouvement vers le haut, même si on est confronté à nos délires intérieurs,
04:37j'ai l'impression qu'elle est plus présente.
04:39Et c'est ce qui m'inquiète profondément.
04:41Et je n'ai pas envie de dire qu'on est un petit peu le canari dans la mine.
04:44Mais c'est peut-être un petit peu cela qui est en train de se jouer aujourd'hui.
04:46Sous-titrage Société Radio-Canada
04:50Merci.
04:51Merci.